12/02/2009 : Interview de Bernard MATTANA
Bernard Mattana fait partie des grands noms du Karting de haut niveau. Ses moteurs ont propulsé de nombreux pilotes sur les sommets des podiums des plus grandes épreuves internationales. Aujourd’hui, Bernard Mattana se lance dans un nouveau défit. Celui de manager les pilotes.
Bonjour Bernard et merci de nous accorder un peu de ton temps.
Tout d’abord, peux-tu te présenter à nos Internautes qui ne te connaissent pas forcément ?
Bonjour à tous,
J’aurai 59 ans dans 2 mois je suis marié et père de 2 enfants (une grande fille de 31 ans et un petit garçon de 13 ans)
J’ai commencé le Kart en 1975, et à part une saison en Formule Renault avec Paul Belmondo, j’ai été motoriste de Kart jusqu’à l’année dernière.
J’ai travaillé principalement pour les usines RKD, PCR où j’ai conçu le dernier moteur refroidi par air, ou bien pour Tm où, après avoir motorisé Sodikart, j’ai fait un court séjour (en 2008) à l’usine Intrépid en Italie.
Cela faisait donc 33 ans de Kart et j’ai pensé que l’heure était venue de passer à autre chose… A nouveau challenge, nouvelle motivation…
Je m’occupe désormais de «manager » ou de « coacher » de jeunes pilotes de Kart afin de leur faire profiter de mon expérience pour les aider tout d’abord à réussir leur saison et plus tard, leur faire découvrir l’auto.
Comment as-tu connu le Karting et en quelle année ? Qu’est-ce qui t’as incité à faire carrière dans ce milieu ?
Ayant terminé mes études assez tard, j’ai senti le besoin de me défouler dans un sport mécanique… la proximité de la piste de Fenouillet et le fait que le Karting était assez abordable m’ont incité à faire ce choix.
Ma décision d’en faire un métier ? Ce fut un cheminement assez complexe car j’ai abandonné une très bonne situation pour faire des moteurs dans ma cave. Après avoir acheté mon premier Kart, j’ai compris très tôt qu’il avait de meilleures chances de finir premier s’il était piloté par quelqu’un d’autre que moi. Il ne me restait donc plus qu’à m’occuper de la partie mécanique.
Quelques heures passées avec Philippe Bertemès, qui à l’époque était président de la commission technique à la fédération, ont fini par me décider.
Quels ont été les moments clés de ta carrière de motoriste ?
Le premier moment clef, enfin celui qui a été déterminant dans mon choix de faire ce métier, a été la course du Grand Prix de Fenouillet en 1976 où tous les meilleurs du championnat de France étaient présents dont le regretté Moulis qui l’avait gagné.
Je motorisais Christian Andrès avec un de mes tous premiers moteurs… nous avons gagné toutes les manches et toutes les finales. C’était un sacré pilote.
Ensuite, j’ai un souvenir ému de l’époque ou M. Thubert et M. Calvayrac m’ont proposé de rejoindre RKD en 1984 pour faire le moteur « carré » (50 course X 50 alésage, RKD était spécialisé à l’époque dans les moteurs à course longue).
Ce fut le début d’une grande aventure, de deux titres de champion de France d’affilé avec deux pilotes sur le podium … l’épopée Olivier Couvreur qui était en tête du championnat d’Europe à Göteborg en Suède à deux pas de l’arrivée et qui a dû abandonner sur rupture d’allumage, laissant sa première place à un certain Mickael Schumacher…
Une autre course qui m’a marqué, ce fut le Grand Prix de Hong-Kong dans les années 90 quand l’usine Tecno m’a demandé de motoriser Alexandre Janneray. Parti dernier en finale sèche, le podium était à l’arrivée de cette course prestigieuse.
Plus récemment ma collaboration avec Sodikart a apporté son lot de succès car en trois ans, nous avons remporté trois titres de champion de France ICA et FA, un titre de champion d’Europe ICA (Kevin Estre), deux titres de vice-champion du monde FA (Kozlinsky) et un titre de champion du monde par équipe.
Quels ont été, à ton avis, les changements les plus importants qui ont eu lieu dans le Karting ?
Le très controversé Ernest Buser lors de sa présidence à la CIK, même s’il ne s’est pas fait que des amis, a donné au Kart moderne son envol. Il a été aidé en cela par le fait que la majorité des pilotes F1 venaient du Kart, rendant ce dernier incontournable pour accéder à la catégorie reine.
Aujourd’hui, il manque une très forte personnalité qui marque le Kart à un moment ou il faudrait prendre des décisions courageuses.
Durant toutes ces années, tu as côtoyé beaucoup de pilotes. Quels sont ceux qui t’ont le plus marqués ?
Au risque de faire des jaloux ou d’oublier quelqu’un je citerai en vrac les plus connus : Bellichi, Fisichella, Kozlinski, je suis sur que j’en oublie beaucoup…
Comment vois tu l’avenir du Karting en France et dans le monde ?
Tout d’abord en France… si tu m’avais posé la question l’an dernier, j’aurais dit très mal, mais entre temps la Fédération a eu la judicieuse idée de confier l’organisation des Grand Prix à mon ami Thierry Germanovitch. Nul ne doute que ce dernier saura redonner une impulsion au Kart de haut niveau en France et c’est une bonne chose, mais le Kart de haut niveau ce n’est pas « tout le Kart » et je crois que la Fédération devrait mener une réflexion sur la refonte des catégories qui pullulent entre les challenges de marque et les catégories officielles… cette confusion est néfaste pour le Kart en général.
Maintenant le président devrait aller beaucoup plus loin … il lui suffirait de se poser deux questions : qu’est ce que le Kart ? Et qui fait du Kart ? Et ensuite il devrait réfléchir à la chose suivante : le Kart étant un loisir pratiqué pour la majorité par des enfants ou des adolescents, est il normal que la Fédération ne fasse pas tout ce qui est en son pouvoir pour qu’ils soient rentrés le dimanche soir à la maison afin d’être à l’école au collège ou au lycée le lundi matin, frais et dispos ?
L’Espagne a compris ce problème et le dimanche à quinze heures tout le monde peut rentrer à la maison … en France, on se retrouve souvent à 18h30 dans le local du contrôle technique à plaider une cause de toute façon perdue d’avance. Ceux qui n’habitent pas sur place devront dormir une nuit de plus à l’hôtel ou bien prendre des risques de nuit sur la route…
Non, je persiste, une course de Kart ne devrait pas faire manquer plus d’un jour d’école. J’ai bien essayé de faire passer le message aux officiels au plus haut niveau et la réponse a toujours été la même : « les gens ne seront pas contents car ils vont rouler beaucoup moins » Et comme ce sont souvent les mêmes qui reprochent au Kart de coûter si cher… ça s’appelle botter en touche… jusqu’au jour ou il n’y aura plus que 50 pilotes par week-end de course.
Pour ce qui est du Kart dans le monde, il reste avant tout tributaire de la situation économique générale et de la façon qu’aura la CIK à peser sur la maîtrise des dépenses et surtout à gérer ses changements de réglementation incessants … souvent d’une course à l’autre.
Parles-nous de ton nouveau projet. Quel est son but ?
Comme je le disais plus haut, je vais me consacrer aux jeunes pilotes de Kart dont les parents solliciteront mes services et ce, afin de les suivre et de les conseiller durant la saison de Kart et les préparer au mieux dans le but de poursuivre éventuellement une carrière en course auto.
Qu’est ce que « conseiller un pilote de Kart» ?
C’est tout simplement l’orienter vers la bonne catégorie, celle où il apprendra le plus, choisir le programme de courses, négocier avec les teams, le suivre continuellement pendant la saison, voir sa progression afin de corriger les plus gros défauts, s’il en a. C’est aussi lui faire faire ses premiers « training » en auto…ensuite sa première saison etc…etc…
Toutefois, je ne m’adresse pas uniquement à ceux qui veulent passer à l’auto, ma connaissance du Kart me permet de conseiller aussi ceux qui, soit pour des raisons économiques, ou tout simplement à cause d’impératifs d’études, décident d’y rester. Mon rôle peut aller du simple conseil sur un week-end, à l’organisation d’une saison entière, choix de la catégorie la mieux adaptée, négociation avec des teams, suivi sportif, diététique, gestion du stress etc… C’est sûr, cela a un coût, mais un coût modéré qui peut faire économiser beaucoup…
Certains peuvent même faire carrière dans le Kart et ce n’est plus une utopie…les meilleurs bien sûr et ceux qui « se vendent » le mieux. Je pourrai donc devenir leur « agent ».
Cela existe dans le football mais pas dans le Kart, ce qui explique que des joueurs de foot très moyens se retrouvent professionnels et que de supers pilotes de Kart restent des espoirs régionaux… de Karting.
Quel conseil donnerais-tu à un jeune qui fait du Kart ou qui voudrait commencer ?
Je lui dirais tout simplement « Yes, we can… Dis à ton père de m’appeler. »
Propos recueillis par Stéphane Agnus © www.karting-sud.com – Photo KSP